|
Entre distraction et dystopie, Distopark est l’anticipation d’un parc d’attraction abandonné sur le thème du musée. Aucun objet, aucune forme n’y est véritablement une sculpture. Distopark est une simulation d’exposition. Mais Distopark est quand même une exposition. Décor autant qu’œuvre, lieu d’une action autant qu’espace de contemplation, elle invite le spectateur à devenir l’acteur de sa transformation.
Dans le champ de l’art contemporain, le statut des installations et des sculptures est très souvent étrange. Elles sont produites pour un temps limité, parfois même à condition d’être détruites une fois ce temps achevé. L’exposition terminée, on les rapatrie, on les stocke, mais une fois décontextualisées elles n’ont plus de véritable statut : tels des déchets encore faiblement radioactifs, elles sont en quelque sorte enterrées, mises à l’écart.
Ainsi, les réserves du Confort Moderne, comme les espaces de stockage de nombreux artistes, ressemblent à des cimetières d’œuvres d’art, à des expositions en ruine. On y trouve toutes sortes d’objets démontés, des restes matériels d’installation, des morceaux de pièces dont le mode d’existence n’est pas toujours très clair (s’agit-il encore d’œuvres? doit-on les regarder comme de la matière brute, destinée à de nouvelles constructions?).
Le moment de la réhabilitation architecturale à venir du Confort Moderne offre un double contexte à Distopark. C’est le moment de faire le tri dans ces réserves, une activité à laquelle les artistes de l’exposition se sont livrés avec gourmandise.
C’est aussi un moment de suspens, qui se prête à des formes de réflexion sur ce que sont et devraient être les musées et les centres d’art. Car tant qu’un lieu n’a pas de finalité, les codes de son usage restent souples. Les terrains vagues, les espaces en déménagement, les ruines n’imposent rien, et s’offrent à toutes les formes d’appropriation. De la même manière, le temps d’un chantier est par nature carnavalesque. Il propose une abolition temporaire des règles.
C’est dans cet entre-deux que Distopark se propose de transgresser l’interdiction de toucher les œuvres aussi bien que les murs, règle intangible de l’institution.
Répondant à l’étrangeté de cette “Dernière nuit avant travaux“, l’organisation d’une partie de paintball constituera un moment cathartique permettant de faire en quelque sorte table rase du passé. Dans le scénario de Distopark, deux équipes s’opposent, les spectateurs et les gardiens. Les spectateurs entrent dans un espace blanc, immaculé. Dans ce jeu de rôle dont l’enjeu fait figure de prétexte, ils sont libres de repeindre les œuvres et les murs. Les gardiens, eux, jouent leur rôle habituel de protecteurs de l’exposition, et tentent de les en empêcher.
Souvenez-vous. A chaque fois que vous avez franchi la porte d’un musée, d’un centre d’art, vous avez été l’objet d’une intimidation. L’institution s’est imposée à vous, elle a déployé les signes de son pouvoir, et le blanc a exercé sur vous un chantage symbolique. Vous avez été tenu à distance, en respect. Cela dure depuis des années, peut-être des décennies. Il est temps de vous venger du cube blanc, en le repeignant en jaune, orange, vert fluo, rose, bleu turquoise. Ce moment de libération ne se reproduira peut-être jamais.
De fait, Distopark se déroulera en trois temps : l’exposition achevée telle que les premiers visiteurs la découvriront, suivie de son saccage pendant la soirée de vernissage puis, durant un mois, l’exposition à proprement parler qui, inversant la temporalité habituelle, offrira aux visiteurs le spectacle de sa déréliction puisqu’elle ne fera l’objet d’aucune surveillance.
En réunissant pour Distopark une équipe d’artistes composée de Chloé Dugit-Gros, Francois-Noe Fabre, Nelly Monnier, Samir Mougas, et Kevin Rouillard, Eric Tabuchi propose un exercice de spéculation collective à propos de notre rapport à l’exposition, une forme excitante et ludique de science-fiction institutionnelle.
En partenariat avec Urban Paintball, Poitiers.
Lire en ligne : L’aîné et le rookie, texte de Jill Gasparina paru dans La Revue Blanche, n. 3. |