Km 316
Axel Amiaud 08 juin 2024 jusqu'au 25 août 2024
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Entrée libre
 
Imaginé au cours d’une résidence de six mois à la Villa Bloch de Poitiers, ce projet prend comme point de départ de la recherche les 12 et 13 juin 1895, jours où la première course de vitesse automobile au monde fait étape à Poitiers. En suivant le tracé historique de la Nationale 10 emprunté lors de la course Paris-Bordeaux-Paris de 1895 puis du Paris-Madrid 1903, c'est l'impact que cette route a eu sur les villes, villages, paysages traversés et plus largement sur la mémoire collective liée à cette RN10 qui est mis en lumière à travers une collection d’images, fragments de textes, objets et signes divers.

En partenariat avec la Villa Bloch, la Ville de Poitiers, le collectif Acte, l'EESI et le Centre d'art de Grand Châtellerault.

Texte critique d'Elise Girardot :

Un folklore déconstruit


Les images ou objets d’Axel Amiaud évoquent des souvenirs partagés l’été, à la lisière d’une route de campagne, en regardant passer le Tour de France. Selon l’expression de Marcel Duchamp, Axel Amiaud serait « un ingénieur du temps perdu ». Il oscille entre un personnage de mécanicien, scientifique, aventurier ou cartographe. En créant sa propre combinaison de pilote et ses écussons en feutrine (Écussons, 2022), il devient lui-même un signe. On songe aux péripéties de Monsieur Hulot dans Trafic, réalisé en 1971 par Jacques Tati. Le héros, échappé du cinéma muet, est dessinateur dans une petite entreprise parisienne où il présente pour le salon automobile d’Amsterdam une astucieuse 4L aménagée en voiture de camping. Axel Amiaud aurait pu devenir dessinateur automobile. Sans doute a t-il caressé ce rêve quand il assistait très tôt à ses premières courses. Aujourd’hui artiste, il est fasciné par les cartes. Il en revisite certaines, modifie des éléments, prélève des fleuves (Selebe Yoon, 2022). Son atelier regorge de couleurs franches, formes et symboles foisonnants, comme un héritage de l’enfance. J’y vois des fantasmes en forme de volants qui tournoient. L’artiste mêle à sa tenue de pilote et ses dessins de logos, des trajectoires, comme l’itinéraire de la croisière noire de Citroën, ce raid à vocation publicitaire, organisé pour prouver la fiabilité des véhicules à travers des films de propagande.

Comme s’il jouait avec des modèles réduits, Axel Amiaud décortique les images d’antan de manière décalée. Via le dessin vectoriel, l’artiste transforme les représentations. Il vit à Poitiers, où passe la première course de vitesse en 1895. Les autos défilent alors à seulement 24 kilomètres à l’heure. Peu à peu, des infrastructures se développent autour de la Nationale 10. Une image vectorielle est une image numérique composée point par point, selon des formules mathématiques inventées par Pierre Bézier, ingénieur chez Renault. Cette technique permet à l’artiste de tisser depuis ses années d’études une sorte de folklore déconstruit, une cartographie fantomatique, habitée par les esprits d’anciennes cartes postales. Enfant, il connaissait le groupe sanguin des pilotes. On perçoit encore, à travers la fascination qu’exercent les emblèmes de l’industrie automobile sur lui, une sorte de fétichisme en creux. Même quand l’objet n’est pas représenté, on devine les contours d’une voiture. Dans une performance (Notes, 2022), il retranscrit les paroles de copilotes de rallye en imitant leur diction. Il dit : «  la voiture, c’est mon premier rapport esthétique ». Il se sert d’archives codifiées, sous la forme d'images ou objets ; les panneaux routiers parsèment son atelier. Ces fragments de la réalité ne font pas partie de la grande Histoire mais reflètent néanmoins les caractéristiques d’une époque, quelque chose qui a été. Parfois, Axel Amiaud déterre des cicatrices, comme les restes de chemins de fer ou de circuits. Il voyage à Dakar au cours de ses études en école d’art et retrouve la Peugeot 405, vestige européen omniprésent dans la ville, comme le Franc CFA, hérité de la colonisation française et encore utilisé dans quatorze pays du continent africain. À son retour, il dessine à partir de notes photographiques. Il extrait des éléments : symboles religieux et gris-gris de marabouts côtoient sur les capots des taxis les drapeaux corses, joueurs de baskets de la NBA ou logos de marques mondialisées (405, une histoire coloniale, 2023). La célèbre course Paris-Dakar réunissait des occidentaux en concurrence dans le désert. Les taxis, pourvus d’ailerons, rappellent encore ce temps révolu. Par le biais d’un patchwork de signes, l’artiste opère des choix, rejoue l’assemblage des taxis.

Axel Amiaud accorde une place centrale à la collaboration. DJ ou performeur, il crée des mises en scène. Il œuvre aussi au sein du collectif ACTE, pratique des entretiens avec d’autres artistes, joue aux échecs pour débattre avec le plasticien Florian de la Salle (Balayage, 2023). En Normandie, avec l’artiste Benoît Pierre, il part à la recherche d’un circuit démantelé et ses terminologies oniriques : «  le virage du paradis », le «  Nouveau Monde ». Il guette les décombres archéologiques de l’aspiration frénétique, du goût immodéré de la vitesse (Que reste t-il du Nouveau Monde ?, 2023). Il y trouve des déchets oubliés depuis trente ans, des morceaux de bitume, des tribunes englouties par l’humus, des tickets pour le Nouveau Monde… Tout semblait pourtant effacé. Il pratique aussi l’écriture. Ses récits sont des carnets de recherche qui relatent sa propre trajectoire. Il vit alors dans l’Histoire, il en devient acteur.

Ses maquettes nous emmènent vers un univers cinématographique. Ce sont tour-à-tour des restaurants ou des bars routiers, au bord de la RN10. Autant de lieux de transition qui paraissent factices. Ils renvoient à une fiction, car ils ont souvent une durée de vie limitée, comme les décors de cinéma. Quelles narrations déploient ces infrastructures, ces nouveaux axes routiers, bâtiments et quartiers qui sortent de terre ? « Quand l’époque est pesante, problématique, oppressante, nous regardons ailleurs dans le temps, non pas dans une volonté de fuir le présent, mais de le recomposer, de le manipuler, en y incluant d’autres expériences plus positives ». Les mots d’Ali Kazma résonnent avec Axel Amiaud qui puise dans l’univers automobile, au service de son imagination. Tout sépare les deux artistes : leurs générations comme leurs champs esthétiques. Pourtant, ils interrogent tous deux la notion de progrès. Et si, au fil du cheminement de Monsieur Hulot, on arrivait au bout de la Route Nationale 10, à Biarritz ? Axel Amiaud n’est pas un personnage burlesque. Nourrie par la nostalgie étrange d’un temps qu’il n’a pas connu, sa démarche s’accompagne d’une déconstruction de la virilité automobile. Il parvient à allier à sa fascination, la mise à distance nécessaire de l’archiviste pour enfin, créer de nouveaux récits d'aventure rétro-futuristes.

Axel Amiaud Groupe 0
 

Diplômé en design produit (BTS obtenu en 2018), puis de l’ÉESI - École Européenne Supérieure de l’Image de Poitiers (DNSEP obtenu en 2022), Axel Amiaud mène des projets mêlant divers médiums et pratiques allant de la création sonore à la sculpture en passant par le dessin. En 2019 il fonde avec cinq étudiants de l’ÉESI le collectif d’artistes Brasier et en 2022 il intègre le collectif d’artistes ACTE.

Prenant l’automobile comme point de départ de sa pratique , objet de passion familiale chez lui, Axel Amiaud travaille principalement autour du paysage et de la manière dont les infrastructures humaines l’on influencé et modifié. Les différents projets sont autant de prétextes pour évoquer également des notions de langage, cartographie, corps ou encore voyage.

Axel Amiaud vit et travaille à Poitiers.